jeudi 27 octobre 1994

Les attentions


"Larmes"- Encre Indienne - Iso Bastier 




Les attentions 

Elle a des attentions
Que je remarque. 
Le mot juste, le mot bon
La parole qui marque 

Des conseils inutiles
Qui me font du bien
En ces jours difficiles
En ces jours de chagrin

Sa voix apaisante
Aux intonations étranges
Vibre si vivante
Que tout s’y mélange 

Elle me surprend parfois
Elle me comprend souvent
En ces jours de grand froid
En ces jours malfaisants

De la délicatesse
Aux timbres de ses phrases
Qu'elle donne puis me laisse
Qu’elle dit avec emphase 

Ces vaines complexités 
Me rassurent pourtant 
En ces jours sans clarté
En ces jours de néant 

Elle a sous-entendu
Quelques silences
Immenses, impromptus
Quelques distances

Des instants de relâche
Où elle ne voit plus rien
En ces jours qui fâchent
En ces jours de dédain

Puis elle se ressaisit
Ne pas abandonner 
Par pure courtoisie 
Le sens de l’amitié 

Elle s’inquiète un peu
Elle m’offre sa présence
En ces jours pluvieux 
En ces jours d’errance 

Elle me dit : je sais
Que tu portes ce poids
Moi aussi je le connais
C’est du n’importe quoi 

Pense donc à autre chose 
Force-toi un peu la main
En ces jours moroses
Ces jours sans lendemain 

Elle soupçonne soudain 
Un mensonge malvenu 
La lueur qui s’éteint
À l’œil de l'ingénu 

Elle l’ignore en substance 
Et se tait un moment 
Mimant l’indifférence 
Un sourire déprimant 

Puis soutire les vérités 
Qui jouaient une esquive
En ces jours sans pitié 
En ces jours de dérive

Elle me pardonne 
Sans poser de question 
La confiance se donne
Faisant des concessions

Elle vit sa vie à elle 
Elle vit sa vie à moi
En ces jours infidèles 
En ces jours sournois 

Venant aussi aux heures
Où personne ne vient 
Demain sera meilleur 
Ailleurs sera demain



27/10/1994


lundi 24 octobre 1994

Sine qua non

 


"3" - Encre - Iso Bastier 


Sine qua non

 

Plus de désir

Plus de pensée

Plus d'élixir

À déguster

 

C'est explicite

Sine qua non

Passage, transit

La voie est bonne

 

Plus de hasard

Plus de secret

Papier buvard

Sur nos décrets

 

C'est explicite

Sine qua non

Plus rien excite

Plus rien étonne

 

Plus de patience

Plus d'attention

Accoutumance

À la dérision

 

C'est explicite

Sine qua non

Accord tacite

On s'empoisonne

 

Pas d'avenir

Plus de passé

Les souvenirs

Sont dépassés

 

C'est explicite

Sine qua non

La fin s'invite

Et nous ordonne

 

Plus de promesse

De jalousie

Plus de faiblesse

D'inassouvi

 

C'est explicite

Sine qua non

Idée construite

Qui nous bâillonne

 

Plus de demain

Et plus d'hier

Plus de chagrin

Plus de mystère

 

C'est explicite

Sine qua non

On le récite

On se sermonne

 

Plus rien du tout

Plus rien de rien

Un point c'est tout

Venu à point

 

C'est explicite

Sine qua non

Sortie, l'exit

On abandonne

 

 

Iso Bastier

24/10/94




samedi 22 octobre 1994

Le marécage

 


"Chinagoa" - Huile - [55X38] - Iso Bastier 



Le marécage

 

Je ne sais plus où vont les choses

Je ne sais pas où va le temps

Porté par ce climat morose

Qui s'incline et qui s'étend

 

Les rues sont pluvieuses et sordides

Errantes, brumeuses et désertiques

Aux ombres pressées et timides

Qui filent dans un vent de panique

 

Tu faisais des détours nocturnes

Dans la ville encore vivante et sûre

Tantôt familière, tantôt taciturne

Parure parée, armure de murs

 

Tu dormais contracté en elle

Les cheveux couvrant le visage

Voyageur flou ou ménestrel

Vendant à qui veut ses images

 

Mais tu t'es montré infidèle

Lui préférant d'autres contrées

Les envies qui donnent des ailes

Ne cessent de se déployer

 

Tu l'as quittée sans au revoir

Sans même un geste de dépit

Sans lui jeter aucun regard

Pas une parole, pas un crédit

 

Tu l'as leurrée à contre-jour

D'un matin par trop fatigué

Prétextant d'aller faire un tour

Heure du retour non précisée

 

Ses occupants ensommeillés

Au réveil sourd, inexorable

L'ont remuée, l'ont bousculée

À coup de pieds et de cartables

 

La ville s'est repliée d'un coup

Sur la grisaille de ses pensées

Pleurant sur elle, déchirant en tout

Ce qui passait à sa portée

 

Elle a éteint ses lumières

Rétréci les murs, les quartiers

Formant un sinistre sanctuaire

D'hommes abêtis et meurtriers

 

Ne sais pas où va le temps

Où s'arrêtent les métamorphoses

Ni la colère des éléments

Quand c'est la terre qui explose

 

Les rues heureuses et candides

Qui s'illuminaient sur ton passage

N’ont plus de cœur, taries, arides.

La ville n'est plus qu'un marécage.

 

Iso Bastier

22/10/1994


jeudi 20 octobre 1994

Agoraphobia


 "L'œil bleu"- Pastels gras - Iso Bastier


Agoraphobia

 

Saurais-tu rester libre

Ailleurs qu'entre tes murs

Qui te créent un équilibre

Qui te font une armure ?

 

Saurais-tu marcher droit

Sur les trottoirs usés

Partir loin de chez toi

Sans trop paniquer ?

 

Tu n'y penses jamais

Tu as peur du dehors

Les gens y sont mauvais

Sauf dans tes décors

 

Les femmes sont pressées

Elles n'ont plus de regard

Qu'une montre hérissée

Au bras comme un radar

 

La ville est grise et sombre

Peu sure, mal éclairée

Parcourue de mille ombres

Aux allures débranchées

 

Tu vois par la fenêtre

Les phares de la police

Pour un crime peut-être

Une lumière en hélice

 

Saurais-tu rester libre

Ne plus être prisonnier ?

Serait-ce dans tes fibres

De rester enfermé ?

 

Tu ne rêves jamais

De dépasser ta porte

De laisser tes objets

Que le vide l'emporte

 

Le soleil se fait rare

Il ne passe presque plus

Ou alors au hasard

Sans t'avoir prévenu

 

Tu reçois des nouvelles

Par la télévision

Rien de personnel

Que d'étranges visions

 

Tout te semble irréel

Inventé, dérisoire

La vie est plus belle

Rangée dans tes tiroirs

 

Bien trop de violences

De guerres si proches

Tu veux de l'innocence

Les mains dans les poches

 

Alors tu restes là

À compter les minutes

À dormir quelquefois

Le corps encore en lutte

 

Tu lis beaucoup aussi

De la science-fiction

Qui génère des soucis

Posant trop de questions

 

Où le monde en est-il ?

Comment vivre ainsi ?

Ça te paraît débile

Et ton œil s'obscurcit

 

Saurais-tu marcher droit

Sans qu'on tienne ta main ?

Être seul dans un endroit

Qui ne te dirait rien ?

 

Tu ne veux pas savoir

Tu te sens mal à l'aise

Ça te donne le cafard

Tu te lèves de ta chaise

 

Pour regagner ton lit

Y chercher le sommeil

Qui procurera l'oubli

Sans donner de conseil

 

Même dans tes songes

Tu ne sors pas pour voir

Les angoisses te rongent

Tourments et cauchemars

 

Tu te réveilles en sursaut

Tu regardes autour de toi...

Ton armoire... Ton bureau...

Tout va bien, tout est là.

 

 

Iso Bastier

20/10/94