jeudi 27 avril 1995

La mère guerrière


"Mars"- Huile - Iso Bastier


La mère guerrière


Elle a trouvé le chemin
Qui mène à la connaissance
Suivi son étrange destin
Pris de drôles de correspondances

Elle a partagé son histoire
Créé une place à la mienne
Tout affronté sans prévoir
Les amours qui reviennent

Elle m’a donné son importance
Jusqu’à s’en oublier un peu
Elle sait maîtriser les distances
Et voir au-delà de mes yeux

C’est comme si la mort en conseil
Lui rappelait que le temps file vite
Pour le moment c’est bien, tu veilles
Les jours s’en vont et ne s’évitent

Elle assume tout sans rechigner
Tous les coups bas de la vie
Elle prend ses responsabilités
Et les miennes quand j’ai failli

Un peu chasseur, un peu guerrier
Son esprit vainc, inaccessible,
Ceux qui ne savent pas mériter
Qu’on se montre par trop sensible

Elle se dresse et se bat pour moi
Se transforme là en animal
Tigresse ou biche aux aboies
Qui défend mes eaux lacrymales

Elle brise la routine des soucis
Qu’on ne puisse pas nous atteindre
Elle est chez elle là où je suis
Je ne l’entends jamais se plaindre

L’existence est une bataille
Où le bonheur doit se gagner
Elle avance vaille que vaille
Je ne la vois pas s’épargner

Je suis son pouvoir accessible
Elle me protège et elle m’apprend
L’insouciance comme le pénible
L’évidence comme le troublant

Elle me cherche et me trouve
Alors je me mets à table
Je progresse, je me prouve
Montre ce dont je suis capable

Le jour de ma naissance
Elle a glissé à mon doigt
Un anneau de reconnaissance
Or c’est bien moi qui lui dois

La gratitude pour cet amour
Désintéressé et sincère
Celui dont on ne fait pas le tour
Que seules savent offrir les mères



Iso Bastier
27/04/95





mercredi 25 janvier 1995

LE CIEL NOIR





     LE CIEL NOIR   (Darling VII)


Il a plu dans ses yeux
De gros nuages sombres
Qui venaient de très loin

De ces jours plus heureux
Dont on compte le nombre
En y pensant c’était bien

La pluie venait des toits
Pour claquer sa fenêtre
Et faire venir la nuit

Darling a un peu froid
Elle commence à renaître
Mais il y a tout ce bruit

Était-ce ce bel orage
Qui grondait dans sa tête
Ou le flot des regrets

Des saveurs, des images
Que sa mémoire arrête
Souvenirs en reflets

C’est une saison humide
Faite d’un ciel sourd et bas
Qui se penche sur nous

Un ciel noir et liquide
Qui ouvre grand les bras
Sur la ville trop floue

Il avait un visage
Qui vieillissait sans cesse
Et qui se reculait

Darling, quel est son âge ?
Celui de la sagesse
Ou celui des méfaits ?

Je le connais aussi
Mais j’ai mis trop longtemps
À pouvoir le comprendre

Voir même lorsqu’il sourit
Ce qu’il a de méchant
Ce qu’il voudrait nous vendre

Il a plu dans mes yeux
Ce qui venait des tiens
De tes nuits sans sommeil

Lui n’est pas malheureux
Il n’y a qu’à lui qu’il tient
Plus rien ne l’émerveille

Comment te parlait-il ?
Et quels étaient ses mots ?
Montrait-il sa tendresse ?

Était-il plus fragile
Lorsqu’il touchait ta peau ?
Savait-il les caresses ?

Il est parti d’un coup
Et je n’ai plus que toi
Pour parler au silence

Moi, je t’aime beaucoup
Je l’aurais dit une fois
Sans remords, sans méfiance

Viendras-tu le chercher
Lorsqu’il s’endormira
La tête dans la terre ?

Il l’a tant espéré
En te parlant tout bas
Loin de ton cimetière

La pluie viendra je sais
Du plus profond de moi
Pour couler dans vos mains

Le vent sera trop frais
Pour que je n'aie pas froid
Malgré mes lendemains

Alors je parlerai
Aux secrets qui défilent
Au rythme des saisons

Et je me souviendrai
Des instants difficiles
Des pertes de raison

Aussi d’une promesse
Qu’il m’aurait faite un jour
Comme en tirant au sort

« Toi tu as la jeunesse
Moi je n’ai plus d’amour
Notre lien, c’est la mort »

Darling, j’ai pris ton nom
Lorsqu’il me l’a offert
Comme un bijou précieux

Je te demande pardon
D’avoir été en guerre
Oui, c’était prétentieux

Tu peux dormir tranquille
Pour la première fois
Je viendrai te bercer

Que tes songes s’éparpillent
Et viennent couvrir les toits
Comme pour nous protéger


Iso Bastier
25/01/95

jeudi 19 janvier 1995

ENCORE





            ENCORE   (Darling VI)

Elle pense encore à lui
Depuis son néant de glace
À ce qu’est devenue sa vie
Habitudes et angoisses

Elle le regarde encore
Aux confins de l’obscurité
Surtout lorsqu’il s’endort
Pas trop accompagné

Elle le pousse quelquefois
À se montrer humain
Mais ses yeux restent froids
Silencieux et hautains

Darling revient toujours
Écouter calmement
Tous ces moindres discours
Jusqu’au point où il ment

Maintenant rien ne change
De ce qui a été
Il a trouvé un ange
Qui vient le surveiller

Elle se glisse à ces heures
Qui se nomment solitude
Près de lui sans chaleur
Que son exactitude

Il l’imagine souvent
Mais sans jamais la voir
Elle restera l’enfant
Qui n’a plus peur du noir

Il aime tant le passé
Qu’il ne fait que survivre
Qu’il ne fait que blesser
Et perdre l’équilibre

Il voudrait bien partir
Mais sans trop de courage
Fait tout pour se détruire
Fait de lui un orage

Darling reste tout près
Elle boude encore un peu
À croire qu’il fait exprès
Qu’il a peur d’être vieux

Elle, elle ne vieillit plus
Elle ne fait que passer
Elle a déjà tout vu
Et déjà tout goûté

Depuis, elle appartient
Aux silences et au vent
À la chair de sa main
Et au vide qu’il tend



                 Iso Bastier
                 19/01/95

mercredi 18 janvier 1995

LES CAILLOUX




LES CAILLOUX   (Darling IV)


Il était ma source, il était mon arbre
Se disait Darling comme dans l’ivresse
Mais comment fait-il pour rester de marbre
Alors qu’il se disait mon ami de tendresse ?

Il est parti un matin sans au revoir
Juste le temps d’apercevoir sa place vide
Je n’ai plus vu autour qu’un grand trou noir
Et mon corps n’était plus qu’une oasis aride

Même le petit matin avait perdu sa trace
Il ne restait de lui qu’une parcelle de nuit
Qui fondait dans le ciel comme un morceau de glace
Et tous ces gens autour, tous ces visages gris

Cent fois il est parti pour mieux lui revenir
Mais, là, elle a senti ce lien fragile et tendre
Commencer par virer, s’étirer et raidir
Et quelque chose en elle a fini par se fendre

C’est un monde sacrifié à l’heure d’aujourd’hui
Qu’elle sème au hasard de ces rues qui défilent
Comme un petit poucet qui sème dans un puits
Les cailloux de verre blanc qui perlent entre ses cils

Où est donc ma source, où est donc mon arbre ?
Se disait Darling comme dans la détresse
Son cœur était bien rond mais il était de marbre
Mais il n’a pas menti, jamais une promesse



Iso Bastier 
18/01/95

lundi 16 janvier 1995

TRAHIR



TRAHIR   (Darling v)


Darling dit qu’aimer c’est trahir
Trahir l’autre autant que soi-même
Trahir les sens pour dire je t’aime

Le monde est fait pour nous bannir
Par ses intenses limites et ses frontières
Qui font de nos âmes des parcelles de terres

Darling dit que pleurer c’est s’enfuir
Pour boire là, l’alcool véritable
Qui fait d’un homme l’animal méprisable

Le corps est fait pour contenir
Les souffrances et les illusions
L’extrémisme de l’imagination

Darling dit qu’attendre c’est périr
C’est donner au temps plus qu’il n’en veut
C’est gagner des rides en perdant nos voeux

L’absence n’est pourtant pas le pire
Elle croit être austère et profonde
Folie solitaire et féconde

Darling dit que vivre c’est mourir
Et qu’avoir peur c’est se restreindre
Sans connaître la lumière avant de s’éteindre



Iso Bastier 
16/01/95                   


                                 

vendredi 13 janvier 1995

LES AILES




      LES AILES   (Darling III)



Darling ment par dépit
Pour mettre du ciel bleu
Dans le gris de la vie
Qui ouvre grand les yeux

Elle sait que ses mensonges
Ont gardé l’innocence
De cet enfant qui songe
Dans son lit de romance

Peu importe ce qu’en pensent
Les plus fieffés joueurs
À chacun ses souffrances
Et son goût du bonheur

Elle se crée des répits
En rêvant haut et fort
Repos dans l’insomnie
À songer qu’elle s’endort

Le jour n’est pas si loin
La lune n’est plus si pleine
Et le voilà qui point
Et la voilà qui peine

Darling ment par plaisir
Aussi par habitude
À quoi sert l’avenir
S’il n’est qu’exactitude ?

On se sent si seul
Sans inventer l’ami
La main sure ou l’aïeul
Qui conseille et survit

Elle lui parle en silence
Le regard dans le vide
Elle ment même à l’absence
À l’envie du suicide

Elle invente l’oiseau
Qui frôle sa fenêtre
Et lui dit : « il fait beau
C’est un jour pour renaître

Viens suis-moi vers ailleurs
Il est temps que tu voles
Ne regarde pas l’heure
Ne pense plus au sol »

Elle monte en équilibre
Sur le rebord plat
« Si je saute, je suis libre
Je verrai bien en bas

Les anges ont bien des ailes
Je dois pouvoir voler
La vie est infidèle
La mort est sa moitié »



Iso Bastier
13/01/95

jeudi 12 janvier 1995

DARLING CROIT





DARLING CROIT   (II)



Darling croit aux anges
Qui aiment s’égorger entre eux
Qu’aucune loi ne dérange
Qui n’ont ni cœur, ni Dieu

Darling croit aux prières
Lorsqu’elles ne servent à rien
Qu’à bénir le mystère
Des gens trop quotidiens

Darling croit aux silences
Qui parlent à son oreille
Lui font des confidences
Lorsqu’elle joue et qu’elle veille

Darling croit aux amours
Qui passent entre les heures
Et qui vivent toujours
Aux secondes qui meurent

Darling croit tout changer
Jusqu’au plus immuable
Elle sait se transformer
Et c’est indubitable

Darling croit tout possible
Avec le cœur, le fer
Si elle perd l’équilibre
Elle touche un peu l’enfer

Darling croit trop rêver
Le bonheur est si vain
Mieux vaut l’imaginer
Pour l’avoir sous la main

Darling croit les regrets
Plus sains que l’amertume
Les souvenirs sont faits
De secrets et de plumes

Darling croit tout savoir
Sur la vie des plus forts
Ils ont les yeux si noirs
Qu’on n'y voit que de l’or

Darling croit que la mort
C’est pour recommencer
En faisant moins d’efforts
Que dans la vie passée

Darling croit aux ailleurs
Qui montrent le chemin
Il faut vaincre la peur
Il faut croire au destin



 Iso Bastier
  12/01/95                      
                      

DARLING




La série de "Darling" comprend 7 poèmes. 



        DARLING    (I)


Elle a tourné Darling
Sur la sellette en vinyle
De l’obscure machine
Des âmes vicieuses et viles

Elle a pleuré Darling
Pour un amour sans pudeur
Dont elle pensait être digne
Elle a fait trop d’erreurs


Elle a erré Darling
Durant des nuits entières
À prendre des aspirines
À se coucher par terre


Elle s’est battue Darling
Contre les indifférences
Elle est tombée du ring
Sans faire sa révérence


Elle s’est déçue Darling
Tout en baissant les bras
Elle était moins maligne
Que les loups et les rats


Elle était pure Darling
Et elle croyait aux hommes
Aux ruisseaux, aux collines
Et aux versions péplums


Pauvre petite Darling
Qui a perdu son nom
Jusqu'à ses origines
Pour de méchants garçons


Elle a saigné Darling
Comme d’autres avant elle
Mortes et il l’extermine
Un fusil à gros sel


Elle a plongé Darling
Sans apprendre à nager
Une mer d’hémoglobine
Aux radeaux de papier


Elle s’est noyée Darling
Dans un flot d’amertume
En restant anodine
Corps parmi les écumes





Iso Bastier
12/01/95