dimanche 16 septembre 1990

Première sortie


"Série Photo Pixel" - Iso Bastier 



Première sortie

 

C'est ma première sortie

Après cinq ans d'enfer.

Personne n'est venu ici,

Pas même ma mère.

Elle doit avoir honte de moi...

Je ne reconnais plus rien.

Les gens ne me regardent pas.

Où aller sans valise à la main,

Sans argent et sans adresse,

Sans famille, sans copain,

Sans même une maîtresse ?

Les voitures vite filent

Contre les murs bariolés.

Des femmes ordinaires défilent

Au milieu d'hommes pressés.

Trouver un travail, oui,

Pour ne pas replonger,

Voilà ce qu'on m'a dit

Lorsque j'ai pris congé.

Qui m'accordera crédit ?

Il fallait réfléchir avant,

Bien travailler à l'école,

Être un bon fils pour maman,

Sans punition ni heure de colle.

Oublier le départ de mon père,

Les coups, la faim, la fatalité,

Subir la triste guerre

Sans jamais y plonger.

Oublier que le chien est mort,

Ignorer la loi du quartier,

Naviguer loin du port,

Ou rêver du chantier

Quitte à vivre à genoux,

Quitte à n'avoir plus rien,

Car tout le monde s'en fout,

Mais ne pas jouer au malin.

 

 

 

Iso Bastier

Septembre 1990

 

mardi 10 juillet 1990

Médecine

 


"Pharmacie"- Encres - Iso Bastier 


Médecine

 

Comme du temps de Molière

Médecins et infirmières

N'ont pas beaucoup changé,

Ils vivent de nos misères.

Blouses blanches : danger !

Traqueurs de veines, de maux,

Ils nous piquent dans le dos,

Le système les exhorte

À ce que ça rapporte.

Il faut que l'on ait mal

Pour subir l'hôpital.

Sans douleur et sans peine

La science serait vaine.

On vous ouvre, vous recoud

Vous sauve où vous absout

Et vous payez pour ça,

Pour des singes savants

Aux diplômes de sang

Qui le matin ont le devoir

De vous registrer au soir.

 

 

 

Iso Bastier

Juillet 1990


mardi 12 juin 1990

La machine



La machine

 

Maman, débranche.

Je ne veux pas être un animal de science

Pour que des hommes en blouses blanches

Tordent mon corps dans tous les sens.

Maman, j'ai peur.

De cette machine qui respire

Et qui remplace mon cœur,

Je la sens qui me prend,

Qui m'aspire.

Maman, j'ai mal

De voir fuir la douleur qui me rassurait

Et dans cette position fœtale

D'effacer tout ce que j'étais.

Maman, les gouttes

Qui creusent la veine de mon bras

Parfois je les écoute,

Elles me disent tout bas

"Elle va venir".

 

 

Iso Bastier

Juin 1990

 

vendredi 16 mars 1990

Rêve mortel


 "Série Photo Pixel"- Iso Bastier


Rêve mortel

 

Il est pâle, écroulé au coin de deux rues,

Les yeux cerclés d'une ombre sanguine,

Les jambes repliées, la main tendue,

Au creux du bras la poudre clandestine,

La blanche qui étoile sa tête bancale,

Neige qui s'éternise sur sa peau glacée.

Elle l'enlise dans son marais infernal

Où glissent les rebelles, plongent les désaxés,

Ceux qui ont peur des autres et d'eux-mêmes,

Des nuits trop courtes ou trop éclairées,

Ceux à qui on ne dit plus je t'aime,

Qui se chauffent au briquet et se font rêver 

Se nourrissant de leur angoisse secrète,

De seringues rougies qui servent et que l'on jette

Pour un jour cesser de respirer.

 

 

Iso Bastier

Mars 1990

vendredi 9 mars 1990

Seul


"Le painturluré"- Iso Bastier 



 

Seul

 

J'ai peur d'être seul

Comme les animaux captifs

Qui n'ont plus de famille

Qui n'ont plus de patrie.

J'ai peur des linceuls

Des départs un peu vifs

Qui telles les chenilles

Se transforment et oublient.

J'ai peur d'être seul

Sans mère et sans ami

Sans joie et sans pays

Sans caresses ni peines

Seul et loin de la Seine.

 

 

Iso Bastier

Mars 1990

samedi 3 mars 1990

Vieillir




Vieillir


J'ai mal par-ci, j'ai mal par-là.

Dans trente ans qu'est-ce que ça sera ?

Je n'aurai peut-être plus rien,

Ni douleur, ni cerveau, ni main,

Les yeux collés sur un écran

Devenu plus noir que blanc.

Les enfants me regarderont

Comme l'ancêtre, le Panthéon,

Comme un vestige dépassé

Qui n'a plus lieu, bien trop ridé,

Comme une bible esquintée,

Un vieux témoin ressuscité,

Un peu trop sale, un peu moins bon.

Je ne serai plus il ou elle mais on.

Quitte à mourir de mon ennui

Autant vous dire : vieillir non merci.



Iso Bastier

Mars 1990